crédits : Alice Nedelec

Au coeur de l'Atelier opéra de l'Ensatt 1/2

École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, Lyon

La Quadriennale de Prague 2019 est l'occasion de réunir huit établissements nationaux d'enseignement supérieur formant à la scénographie en France pour partager la singularité de leurs pédagogies, mettre à l'honneur les formations qu'elles enseignent et faire découvrir les travaux des étudiants réalisés en écho à la Quadriennale.

Les étudiants en master 1 des départements scénographie, lumière et costumes de l’ENSATT et des chanteurs et musiciens du CNSMD de Lyon l'ENSATT Lyon ont consacré le premier semestre (septembre à décembre 2018) à l'Atelier Stabat Mater. Le but: immerger les étudiants, dans l’immense œuvre musicale religieuse de Pergolèse, le Stabat Mater. Répartis en six groupes, les étudiants ont conçu six projets réunissant les imaginaires de la scénographie, de la lumière et des costumes, pour tenter de faire de la scène d’opéra une chambre d’écho magique où musique, chant, dramaturgie, jeu, esthétique ( espace, lumière, costume ) seraient au diapason.
Un projet Initié par Ingrid VON WANTOCh REKOWSKI (metteure en scène), avec comme intervenants de l'ENSATT : Alexandre de DARDEL (scénographe), Coralie SANVOISIN (costumière et scénographe), Colin LEGRAS (éclairagiste).

L'intention : des Stabat Mater, entre le fragment et l'ensemble

Le postulat de départ de cet atelier est de faire plonger tête baissée les étudiants des départements scénographie, conception costume et conception lumière de l’ENSATT, dans l’œuvre musicale religieuse écrite en 1736 par Giovanni Battista Pergolesi ( Pergolèse ), le Stabat Mater.

Constitués en six équipes, les étudiants ont conçu six projets en combinant immédiatement les imaginaires de la scénographie, de la lumière et des costumes.

Six chanteurs, cinq clavecinistes et deux violonistes du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon ont été associés à l’atelier. Ce qui est impossible au théâtre, l’est à l’opéra : la musique anticipe le spectacle dans ses moindres détails. « Le chant est déjà là. Ce qui signifie que le rythme est déjà là, les intervalles entre les répliques sont déjà là » (Patrice Chéreau)
Ce surgissement immédiat du sens, à travers la musique de Pergolèse et le corps des chanteurs, est un immense atout pour des projets fictifs, dont souvent l’angle mort est constitué par l’absence du concret amené par les acteurs.

Le pari est ensuite de mettre en rapport l’ensemble et le fragment :
l’ensemble à échelle réduite ( croquis, images, maquettes ) et le fragment à échelle réelle ( chaque groupe choisissant deux des scènes proposées par les chanteurs et musiciens ). Il s’agit alors de faire son miel du mouvement de la plume d’un chapeau, de la vibration du filament d’une ampoule en correspondance avec la musique, de la tessiture d’une voix mariée à celle d’un rideau.

L’œuvre proposée par la metteure en scène Ingrid von Wantoch Rekowski, Stabat Mater, exige des prises de position dramaturgiques et esthétiques très nettes, pour aborder des territoires d’imaginaire d’une densité et d’une intensité prodigieuses. Les projets du Stabat Mater doivent être dans le même temps scénographiés et scénarisés, pour permettre à l’œuvre de se réinventer en incessantes métamorphoses.

Cet atelier constitue une tentative de faire de la scène d’opéra une chambre d’écho magique, lorsque musique, chant, dramaturgie, jeu, esthétique ( espace, lumière, costume ) sont au diapason.

Alexandre de Dardel, scénographe


Points de départ

Un projet transversal et collectif

L’atelier démarre le 24 septembre 2018. Les étudiants y consacreront 23 journées au total, dont 8 jours d’autonomie, jusqu’au rendu le 6 décembre 2018.

Dans le travail collectif des 6 groupes constitués chacun d’un.e scénographe, un.e costumier.ère et un.e concepteur.trice lumière, les idées viennent de partout, sans hiérarchie. **L’imaginaire du projet est nourri par tous, et mis en commun. Entreprise difficile, parfois confuse et compliquée, mais avec de la concentration et de l’obstination, le lieu scénique apparaît et peut, simultanément, accueillir la pensée de l’espace, celle de la lumière et du costume.

L’opéra oblige de travailler sur le temps : de la scène, de l’aria, de la séquence.

Le passage au plateau, même avec un espace esquissé, simulé, permet de valider ou de rejeter un concept scénographique ou esthétique.

But de l’atelier : « construire » de la poésie scénique.

La transversalité nous y aide, et l’opéra, œuvre d’art totale, Gesamtkunstwerk, nous y aide aussi.

La poésie scénique en question(s) : fragments d'interrogations

Chercher la délicatesse et le mystère.
Qu’est ce qui fait que l’espace devient sacré ?
Un théâtre pour le Stabat Mater, sur mesure. Un théâtre dans lequel construire une église. Une église dans laquelle construire un théâtre.
Quel est le lieu idéal pour faire entendre et faire voir le Stabat Mater de Pergolèse ?
Manipuler une matière dangereuse, délicate, explosive : la religion.
Le christianisme est né dans la violence.
La « machine-religieuse », qui fabrique obsessionnellement des images.
En attente de la résurrection, le corps du Christ est constitué des traces de son absence.
La pluie dans la Bible.
Le plateau, c’est le Christ !
Quelle forme prend la prière ?

Il n’y a pas de mystère plus profond et plus doux, que celui de la Vierge Marie.
Est-ce que les personnages se construisent sous nos yeux ?
Qu’est ce qui peut se jouer théâtralement dans chaque scène ?
Passer dans la peau :
de Jésus : se déshabiller.
de Marie : se coiffer, ou enfiler le collier-cœur percé.
Si la Vierge apparaît, il semble logique de reconstituer Lourdes : la Vierge n’apparaît que dans les grottes !

L’utilisation du kitsch au théâtre n’a évidemment d’intérêt que s’il sert à creuser des contrastes violents.
L’iconographie des stars du rock emprunte largement à l’iconographie religieuse.
Cette esthétique surgit avec les musiciens.
Golgotha – Fête foraine.
Crucifixion dans une boule à neige !

Ne pas craindre le surréalisme, toujours osciller entre le trivial et le sacré.
Téléscoper des univers contraires.
Contradictions, contrastes du baroque.
Etre dans la musique, et au dehors.
Retourner comme un gant : intérieur / extérieur.
Traitement spécifique des instruments eux-mêmes, ou du son, mêlant instruments baroques et électroniques.
Transfiguration : montrer théâtralement le processus de transformation, de la laideur à la beauté. Les larmes se transformant en bijoux, la sueur se transformant en vernis….
Le cœur saigné se transformant en couleur de robe.

L’éclipse, les cieux noirs : évènement scénographique en puissance.
Dérèglement monstrueux à l’échelle du climat. « Le temps sort de ses gonds. »
Tenter de lister les évènements scéniques possibles dans le Stabat Mater,
comme l’éclipse de soleil ( tous ces cieux noirs splendides ),
ou une porte entrebaillée sur le Paradis.
La destruction : le décor prend en charge la souffrance.
Plonger les spectateurs dans un bain sonore et lumineux, à l’instar de certain set techno.
Poème visuel.
Noirs profonds comme chez Joël Pommerat.
Ne mettre en scène que le principal : les ténèbres et la lumière.


REFERENCES

L’enseignement n’a ni commencement ni fin. Nulle matière ne peut être tenue préalable à une autre. La pédagogie n’est faite que de comparaisons.
Antoine Vitez

Nous avons convoqué beaucoup de références :

Jeanne au bûcher, mis en scène par Castellucci à l’Opéra de Lyon, avec Audrey Bonnet qui avait un rôle muet, celui d’une sorte de performeuse christique,
Possession, de Zulawski,
Visage, de Tsai Ming Liang,
Tango, de Zbigniew Rybczynski,
Living Theater : images de charnier, ou de Paradis communaire, Golgotha humain,
La Metope del Partenone, de Castellucci,
Helmut Newton : précurseur du kitsch moderne,
Jacques Monory,
Stifters Dinge, d’ Heiner Goebbels,
Sade,
Dancing in the Dark, de Lars von Trier,
Pina Bausch dans Café Müller : Mater Dolorosa,
Eva Green dans Penny Dreadful,
La douleur des femmes à l’Opéra, chez Chéreau,
Orféo, je suis mort en Arcadie, de Candel/Achache,
Richard Long,
Joseph Beuys,
Nymphomaniac, de Lars von Trier, composé comme un tableau religieux, truffé de détails détournés et de références érotiques, Passion, de Jean-Luc Godard,
Je suis Sang et Histoire des Larmes, de Jan Fabre,
les Démons, de Creuzevault : arrêter le feu, marcher sur l’eau,
Stalker, de Tarkovski.


PROJETS

Les 6 projets se construisent. On les baptise :

LA TABLE DRESSÉE
ABATTOIR
EXECUTION ROOM
PLUIE DE GRAINES
PETER SELLARS PROJECT
LA GROTTE NOIRE

A venir : l'article détaillé sur l'évolution des projets jusqu'à leur présentation en public


Crédits

6 projets autour du STABAT MATER ( 1736 ) de Pergolèse avec les étudiants master 1 des départements scénographie, lumière et costumes de l’ENSATT et des chanteurs et musiciens du CNSMD de Lyon
Atelier encadré par Ingrid von Wantoch Rekovski
Jeanne Bernier et Sylvain Manet
Gabrielle Varbetian et Nicolas Kuntzelmann
Adèle Lorenzi Favart et Leo Fernique
Federica Basilico et Galel Sanchez, violons
Hayao Soneda, Yukari Ishikawa et Camille Leblond, épinette
Merci à Eric Soldevila pour son indéfectible soutien logistique
Merci à Anne-Catherine Vinay et Robert Expert pour la préparation des musiciens (chanteurs et instrumentistes)